Dr Ahmat Hassan MOUSSA : « …. la concertation avec les éleveurs eux-mêmes permettra de créer des zones d’attache et va imposer un système d’élevage plus ou moins stabilisé … ;»
Rassemblés à Lomé du 10 au 12 octobre pour la 7ème réunion du Comité technique du projet (CTP), le coordonnateur régional du Projet régional de dialogue et d’investissement sur le pastoralisme et la transhumance au sahel et dans les pays côtiers de l’Afrique de l’ouest (PREDIP), Dr Ahmat Hassan MOUSSA fait le point de la mise en œuvre du PREDIP quatre ans après son démarrage. Il aborde aussi la question de la transition de la mobilité transfrontalière dans un contexte d’interdiction et de suspension de la transhumance dans certains pays côtiers et propose des pistes de solutions à explorer pour l’avenir du secteur.
Que peut-on dire de la mise en œuvre du PREDIP à cette 7ème réunion du CTP ?
Le PREDIP est un projet comprenant cinq composantes dont quatre composantes opérationnelles et une composante coordination régionale. Les composantes opérationnelles sont les composantes qui œuvrent au développement de l’élevage notamment celle de la santé animale, le dialogue pour une transhumance apaisée, des infrastructures agropastorales, les informations liées au pastoralisme. Après quatre ans de mise en œuvre, il y a déjà des résultats positifs perçus dans la mise en œuvre opérationnelle du projet. De manière transversale, toutes les composantes s’imbriquent.
Les questions d’information sont développées par le centre régional AGRHSYMET où deux outils importants ont été développés notamment la bibliothèque numérique et le géoportail qui sont des outils permettant de donner des informations aussi bien pour les décideurs que pour les acteurs institutionnels et politiques mais également pour les éleveurs. Ces derniers auront des informations à leur disposition pendant la mobilité grâce à un dispositif de relai notamment les radios communautaires et les services des réseaux sociaux via des téléphones mobiles où des messages sont partagés.
Au niveau de la composante 2 sur le dialogue, il y a la mise en œuvre de mécanismes locaux de consultation notamment les plateformes d’innovation actuellement réalisées dans les pays côtiers plus précisément à Korhogo dans le nord de la Côte d’Ivoire et Abelussa au Ghana. Il y a eu plusieurs cadres de concertation développés et des comités nationaux de transhumance. Toutes ces activités constituent un cadre de plaidoyer pour une cohabitation pacifique afin de limiter et gérer de façon pacifique les conflits et faciliter la mobilité du bétail entre les pays sahéliens et les pays côtiers.
En termes d’infrastructures, il y a beaucoup de marchés à bétail qui sont réalisés dans une dimension économique surtout au niveau des collectivités locales (Interco). Ils ont généré beaucoup de recettes dans les communes. Il y a aussi des infrastructures à usage de service notamment une cinquantaine de puits pastoraux réalisés. Plus de 1.500 axes de transhumance ont été tracés et balisés ; des magasins d’aliments à bétail et des postes vétérinaires ont été construits au niveau transfrontalier pour aider l’harmonisation et la synchronisation des activités en matière de santé animale. Ce sont des activités importantes sur le plan opérationnel mais de façon global le CILSS est en train de suivre et coordonner le projet en mettant toutes ces composantes en synergie pour créer une mutualisation dans les interventions et une belle cohérence étant donné que l’objectif global recherché est de soutenir le pastoralisme pour le bien-être des populations.
Il y a également une pastelle de synergie qui permette à ce qu’on puisse valoriser les acquis et de les capitaliser pour assurer une bonne pérennisation. Au niveau du pays, on a développé des mécanismes de points focaux qui sont des représentants des Etats et ont un bon ancrage autour des actions et de remplir également une durabilité. Voilà un peu les quelques acquis durant ces quatre années de mise en œuvre du PREDIP. Certains projets sont finis d’autres tendent vers la fin et on estime que le projet atteindra véritablement ses objectifs.
Quelles sont les principales difficultés rencontrées dans la mise en œuvre de ce programme ?
Durant ces années, la mise en œuvre ne serait pas sans difficulté. Il y a un niveau de difficultés structurelles surtout dans les pays côtiers que ça soit au Togo, au Bénin, Ghana, Côte d’Ivoire et Nigéria où nous intervenons parmi les pays côtiers, la question de la transhumance pose problème. Il y a beaucoup de débat tout autour. Il y a une mauvaise perception liée au fait d’une stigmatisation que subit cette zone à travers les questions de l’insécurité au Sahel et en Afrique de l’ouest.
De manière structurée, on sent qu’il y a une certaine difficulté par rapport à la transhumance. Au Bénin, la transhumance est interdite et elle est suspendue au Togo. Les gens ont tendance à réfléchir sur un paradigme nouveau, celui d’aller vers un type élevage plus stabilisé, plus maîtrisé afin d’éviter les risques d’insécurité. La situation de la Covid 19 a impacté certaines de nos activités avec la restriction. L’insécurité civile qui prévaut dans toute la région de l’Afrique de l’ouest où des mesures certaines sont prises.
Dans le cadre de la composante « Dialogue », les réunions de haut niveau ne se tiennent plus et cela ne permet pas qu’on puisse aborder certains sujets sur le dialogue politique pour prendre des décisions majeures.
Au niveau du projet, il y a des difficultés particulières sur leur fonctionnement, leur démarrage, sur la mise en œuvre du personnel tout au début du projet qui a été tardif. Ce qui fait que certaines des composantes sont obligées de chercher une extension pour combler le gap en termes de temps et atteindre les objectifs.
Comment faire face à la transition de la transhumance transfrontalière face à la réticence de plus en plus accrue des pays côtiers ?
Il n’y a pas véritablement un rejet ou un refus d’accepter ou d’adopter la transhumance. Mais pour tenir compte de cette réalité qui n’est pas du moindre d’ailleurs, le CILSS à travers de grands projets notamment le PRAPS, le PEPISAO, le PREDIP, le MOPS et tous ces projets qui sont sous la coupole politique de la CEDEAO essaient de réfléchir maintenant sur un mécanisme qui permettrait que cette mobilité soit mieux appréhendée. Cela demande une forte consultation à différents niveaux, il y a aussi lieu de songer un temps à revoir comment réduire l’amplitude de la mobilité car nous sommes dans un contexte changeant où la démographie évolue, les fonciers causent de plus en plus problème. On ne peut pas inconditionnellement rester dans cette démarche. Par conséquent, ça fait appel à développer de nouvelles activités notamment la réalisation des points d’eau, les cultures fourragères pour prolonger le temps que les éleveurs mettent dans la zone sahélienne. Il y a aussi la concertation avec les éleveurs eux-mêmes pour qu’ils pensent à créer des zones d’attache et cela impose un système d’élevage plus ou moins stabilisé. Cette concertation permettra de repenser l’élevage, trouver le juste milieu pour que la mobilité se fasse dans tous les sens dans une mesure acceptable.
Le dernier élément c’est l’aspect économique. Toutes les contrées, tous les pays dans lesquels des marchés à bétail sont établis savent très bien que les communes abritant ces infrastructures tirent beaucoup de profit. Cet aspect économique est une valeur ajoutée et demeure un élément de plaidoyer fort de sorte que les gens puissent comprendre que si le bétail vient chez eux, cela a un apport bénéfique pour ces pays.